Introduction

« Interprète de l’inexprimable, ambassadrice de l’idéal, la fleur dit mieux qu’aucune parole tout ce qu’un état d’âme renferme de subtil et de complexe : nos joies, nos tristesses, nos aspirations, nos enthousiasmes. Tremblante aux mains de l’amoureux ou provocante à la boutonnière, ingénument épinglée sur l’épaule ou sournoisement mêlée aux cheveux, rayonnante aux cérémonies nuptiales, sur les tables de festin, pensive au bord des guéridons, en prière sur les autels ou en larmes sur les tombeaux, la fleur sait tour à tour implorer et conquérir, charmer et séduire, rire et pleurer, aimer et souffrir : vivre en un mot. »

Objet de fascination tant visuelle qu’olfactive, les civilisations ont tôt intégré la fleur à leurs habitudes et coutumes. Tantôt utilitaire, tantôt décorative, la fleur est progressivement apprivoisée par l’Homme. C’est ainsi qu’après l’agriculture, l’homme découvre l’horticulture ornementale. L’horticulture tire son origine étymologique du latin hortus et cultura, signifiant « plantes cultivées dans le jardin ».

Elle est l’une des trois branches de l’agriculture, à côté des branches agricole et forestière. Cette subdivision prend racine au Moyen-Âge, « où les plantes horticoles étaient cultivées dans un espace clos à proximité ou dans l’enceinte de monastères ».

L’horticulture est une filière, ou plutôt un secteur, qui se subdivise elle-même en quatre catégories. L’on distingue ainsi l’horticulture fruitière, légumière, médicinale et ornementale. L’horticulture ornementale comporte encore plusieurs branches d’activités spécialisées. Le ministère de l’Agriculture en retient quatre : « fleurs et feuillages coupés, plantes en pot et à massif, végétaux de pépinières et bulbes à fleurs ».

L’horticulture ornementale -3000 AV.J.-C.

L’horticulture d’ornement apparaît dans les années 3000 av. J.-C.. À cette époque, l’agriculture de « l’Âge de Bronze » introduit une horticulture esthétique et non utilitaire. En Égypte ancienne par exemple, les fleurs et feuillages étaient utilisés pour créer des parures corporelles et servaient aussi d’offrandes aux dieux.   Il n’existait pas encore, à cet instant, de culture florale spécifique, distincte de l’art des jardins. Les fleurs, telles que le lotus et le lys, étaient avant tout utilisées pour leur parfum, dans un cadre religieux.

Ce n’est qu’au Nouvel Empire que se développe une véritable culture florale. Sous le règne de Ramsès III (-1186 à -1154), de nouvelles fleurs apparaissent dans l’iconographie et viennent s’ajouter au lotus, telles que le bleuet, le pavot, l’anémone et le chrysanthème. À ce moment, la fleur est introduite dans les fêtes publiques et privées : les réceptions sont fleuries (essentiellement avec du lotus) et les hommes commencent à porter des couronnes de fleurs et de feuillages.

L’horticulture ornementale -300 AV.J.-C.

Cet engouement floral ne fait alors que commencer. Ainsi, entre 332 et 30 av. J.-C. de nouvelles variétés commencent à être reconnues et utilisées. Parmi les feuillages, sont mis à l’honneur l’olivier, le lierre venu d’Europe, le laurier et le myrte. Côté fleur, on s’enthousiasme pour le jasmin venu d’Inde, le coquelicot, la giroflée, la mauve, le saule, le chrysanthemum coronarium, le bleuet d’Orient, la vergerette, le cresson de Crète, le volubilis, l’héliotrope de Nubie, le muguet, l’Iris de Sibérie ou encore la rose centifolia. Ce sont les Grecs qui, à la suite de leur conquête de l’Égypte, y apportent de nouvelles variétés et surtout cette précieuse rose. Sur ces terres propices à la culture, l’industrie de la fleur commence alors à se développer : l’on assiste ainsi à la naissance d’un véritable marché, organisant la production et la vente de fleurs à grande échelle. À cette époque, la vente des fleurs passait par quatre canaux principaux : le marché, les boutiques de fleuristes, les échoppes semi-permanentes et les marchands itinérants.

Dans la Rome décadente, les fleurs deviennent indispensables. La culture hors-saison se développe (la serre n’étant pas encore inventée, les cultures sont chauffées à l’eau) et la culture « hors-sol » « également (des fleurs poussent dans des chariottes exposées au soleil). Surtout, les Romains commencent à importer des fleurs en pot de Campanie et d’Égypte pour couvrir leurs besoins. Les fleurs — comme la rose, la violette, la marjolaine et la fleur de coing — sont utilisées en onguents et en parfums. À cette époque, la production florale est si développée que sa culture a parfois lieu aux dépens de la culture vivrière. De vives critiques se font alors entendre, mettant en avant un problème d’inégalité : la couronne de fleurs devient signe de richesse et de raffinement, mais aussi, pour certains, le présage d’un amollissement des mœurs et de la décadence de la cité.

Finalement, la chute de Rome a de graves conséquences sur la connaissance des fleurs en Europe. Celle-ci régresse, tant sur le plan de l’horticulture que sur celui de la médecine et herboristerie.  L’usage des fleurs décroît à mesure que l’influence de l’Église chrétienne primitive s’étend. Cela ira jusqu’à la prohibition des fleurs dans la vie publique et tout ce qui a trait à la religion.

L’horticulture ornementale de la renaissance à nos jours

À la Renaissance, les explorateurs reviennent de leurs expéditions et voyages avec des fleurs et plantes nouvelles, conduisant à une généralisation de l’utilisation des fleurs. 

Au XVIe  siècle, l’on observe ainsi une augmentation nette de la diversité floristique et des espèces horticoles. En plus de la découverte des plantes et fleurs du Nouveau Monde, l’Amérique, une véritable géopolitique de la circulation des fleurs se développe : les élites s’échangent des graines, des bulbes, via des dons et contre-dons. C’est d’ailleurs à cette époque que la tulipe fait sa grande apparition, dans les années 1550. L’on doit son arrivée en Occident à deux naturalistes français : Charles Delescluze et Pierre Bélon.  À la recherche de nouvelles espèces qui s’acclimateraient au territoire français, les deux hommes découvrent la tulipe lors d’un voyage à Constantinople. Ils dérobent ainsi quelques bulbes de Tulipe présents dans les jardins de Soliman le magnifique.

Au fil du temps, les variétés ramenées de nombreux voyages sont améliorées, pour privilégier les fleurs à plusieurs rangs de pétales, et aux couleurs « chamarrées ». Au début du XVIIe  siècle, les tulipes, par exemple, font l’objet d’un fort engouement collectif, mais l’on méprisera les tulipes unicolores, pour ne sélectionner que les « couleurs bigarrées ».

Cette époque fait en réalité apparaître un mouvement vers la recherche de la fleur « parfaite », celle que l’homme aurait lui-même façonnée. À partir de cette période et jusqu’à maintenant, l’histoire des fleurs sera donc celle d’une « artificialisation croissante ».

Aujourd’hui, en définitive, les fleurs poussant dans nos jardins ne sont plus « authentiques », toutes ayant subi, directement ou indirectement, des transformations radicales, fruits des sélections et croisements réalisés par des horticulteurs.

La fleur coupée contemporaine

Ces transformations ont ainsi permis de développer les variétés de fleurs coupées commercialisées aujourd’hui et de leur conférer leurs qualités spécifiques. Aujourd’hui, plusieurs caractéristiques font de la fleur coupée un produit — au sens économique du terme — unique. En premier lieu, il s’agit d’un produit vivant : la fleur coupée a une durée de vie éphémère et comme fonction essentielle la satisfaction d’un besoin hédoniste. Cela fait d’elle un produit de luxe. En second lieu, la fleur coupée est périssable. De ce fait, la gestion de ce produit se fait à flux tendu, méthode d’optimisation de la production. La vente de fleurs coupées ne peut être différée, ce qui rend les producteurs particulièrement dépendants de la conjoncture économique.   Les mesures prises par le gouvernement pour lutter contre la propagation du Covid-19 en sont une illustration frappante : faute de débouchés pour les producteurs, l’ensemble des productions engagées sur la période n’ont pas pu être vendues, engendrant de fortes pertes pour les exploitations. En troisième lieu, la fleur coupée est un produit dit « simple ». 

Cela a plusieurs incidences. Dire que la fleur est un produit simple signifie d’abord que la production ne peut être fractionnée entre plusieurs exécutants, sauf avant la mise en terre (le producteur peut acheter la semence ou un jeune plant à une tierce personne). Une fois plantée, il incombe au producteur d’assurer la croissance, la coupe et le conditionnement de la fleur. Cette « simplicité » de la fleur coupée implique également que le produit final est très proche, voire identique au produit mis sur le marché, puisqu’à partir de la coupe, il n’y a plus de modification substantielle du produit. Le travail du producteur en amont ainsi que la conservation du produit en aval sont donc décisifs. Enfin, la « simplicité » de la fleur coupée s’exprime au travers de ses moyens de distribution. La mise en place d’emballages spécifiques devenus « très performants à l’échelle internationale » a fait de la fleur coupée un produit facilement transportable. La rapidité de l’acheminement et la continuité de la chaîne de froid constituent la seule contrainte, ce qui suppose des moyens de transport adaptés (tel que des camions isothermes ou des avions). Cette facilité de transport en fait un produit avec un fort potentiel d’exportation ou plutôt, si l’on se place du point de vue français, d’importation.

En effet, aujourd’hui, 85 % des fleurs coupées vendues en France sont importées.

À l’heure où le marché horticole s’est largement internationalisé, un si fort taux d’importation invite à examiner l’état actuel du secteur français de la fleur coupée. Surtout, ce constat nous incite à mener une réflexion sur les moyens de revaloriser la production française. Afin d’explorer différentes pistes visant à remettre la production de fleurs françaises sur le devant de la scène, l’analyse du secteur de la fleur coupée en France doit s’effectuer à travers deux angles. Interne, tout d’abord, afin de comprendre comment se compose le secteur français de la fleur coupée et pourquoi celui-ci est aujourd’hui en difficulté , ensuite, de façon à analyser la concurrence à laquelle la France doit faire face sur le marché de la fleur coupée et pourquoi celle-ci peine à y faire face.

Extrait de l’étude sur la fleur coupée en France par Bérénice Ruff de Juin 2020 pour l’École des Fleuristes de Paris. Illustration Matthieu Dupille.